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Les taxes redoutées sur les engrais russes entrent en vigueur

Les différents opérateurs et analystes de la filière des engrais ne s'accordent pas sur les estimations de variation de prix que pourraient occasionner ces nouvelles taxes.

Certains engrais russes et bélarusses arrivant sur le territoire européen sont surtaxés depuis le 1er juillet. Si des syndicats agricoles redoutent une hausse significative des prix d’achat, les industriels de la fertilisation français assurent que l’impact sur le marché sera limité.

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Depuis le 1er juillet, la Commission européenne surtaxe des produits agricoles et certains engrais russes et biélorusses. Pour ces derniers, la mise en place des droits de douane est progressive pour atteindre un niveau prohibitif, équivalent à 100 %, en 2028 (lire l'encadré). Bruxelles cherche ainsi à limiter la dépendance du Vieux Continent à ces origines, à arrêter de financer l’effort de guerre russe et à stimuler la production européenne. La Biélorussie n’est « pas un producteur ou un exportateur important de ces produits », mais reste concernée en raison de ses liens étroits avec la Russie. Cette dernière en revanche, fournit près de 25 % des importations européennes d’engrais, selon la Commission.

À ce titre, certains syndicats agricoles s’étaient inquiétés de la mesure, dès son annonce en janvier, anticipant une hausse du prix des engrais, azotés notamment, sur les exploitations européennes. Le Copa-Cogeca parlait par exemple en février de 40 à 45 €/t supplémentaires. « Ce chiffre correspond à la taxe qui sera appliquée sur les fertilisants russes importés à partir du 1er juillet. Mais il ne s’appliquera que sur la part des importations européennes qui proviennent de la Russie », a contredit Renaud Bernardi le 18 juin lors de l’assemblée générale de l’Unifa (1), dont il est le vice-président. L’organisation évoque une hausse plus modérée, de 5 à 10 $/t le temps que le marché se réorganise, selon une enquête qu’elle a commanditée à Argus. Une estimation avec laquelle Eric Thirouin, président de l’AGPB (2), est en désaccord. « Il y a une hausse d’environ 40 €/t qui a commencé à l’annonce de février, puis [une autre] juste après [l’approbation des taxes par la Parlement] à la fin de mai », observe-t-il.

Doute sur les capacités européennes

L’Unifa assure par ailleurs être en capacité de rehausser sa production pour compenser, au moins partiellement, les volumes russes devenus trop coûteux. « De 10 à 20 % des capacités de production de nos sites européens sont aujourd’hui à l’arrêt », a souligné Delphine Guey, présidente sortante de l’Unifa. Les importations massives d’engrais russes à bas prix ont généré « une distorsion économique qui [a] contraint les industriels français à réduire leur activité, à restructurer leurs sites », avait déjà expliqué l’union en janvier. Ainsi, ce potentiel de production pourrait-il être « très rapidement » remobilisé, a-t-elle assuré.

D’autant plus que les usines ne dépendent plus du gaz russe pour produire leurs engrais azotés. « L’Europe a fait le choix, rapidement après le début de la guerre, de réorienter ses approvisionnements de gaz naturel. La France n’était [d’ailleurs] pas la plus [concernée] par ces approvisionnements russes, a expliqué Renaud Bernardi, vice-président de l’Unifa. Aujourd’hui, l’Europe importe par exemple du gaz norvégien et pour la France, des navires de GNL (3) qui arrivent d’un peu partout dans le monde. » Et Delphine Guey de préciser que les entreprises implantées sur le territoire national fournissent « déjà 45 % des besoins tricolores et en prenant compte les pays limitrophes, nous en fournissons les deux tiers ».

Mais Eric Thirouin reste sceptique. « J’espère me tromper, mais j’ai du mal à imaginer comment l’industrie européenne pourrait remonter rapidement sa production. » Même son de cloche du côté de Céréfi (4), « sachant que plusieurs sites ont été arrêtés » en France, en Allemagne, et en Belgique sur les derniers mois, a expliqué à La France Agricole son fondateur, Arnaud Ponset. « Ce n’est pas une volonté des politiciens de faire redémarrer des usines d’engrais » dans le climat actuel, avec notamment une pression des écologistes et de nombreuses normes de stockage, estime-t-il.

Enquête française lancée

L’exécutif européen se veut toutefois rassurant et promet de réagir dans le cas d’une hausse « substantielle » des prix, et de suivre de manière « très rapprochée » le marché des engrais. En cas d’inflation, il pourrait par exemple suspendre les taxes douanières sur les engrais en provenance d’autres pays tiers. « Cela pourrait aider mais ne compensera pas », estime Arnaud Ponset. Et dans un contexte instable, avec notamment la guerre au Moyen-Orient ou les tensions franco-algériennes, « la grande question reste : où va-t-on se sourcer ? », s’interroge le spécialiste. La piste des États-Unis est ouverte, mais dépendra des négociations avec l’Union européenne qui pourraient prendre fin le 9 juillet. « Si les États-Unis taxent les importations européennes, l’Union européenne pourrait, en représailles, taxer encore plus fort les achats d’engrais », projette Arnaud Ponset. Il estime par ailleurs possible que des exportations d’azote russe passent par les États-Unis pour arriver en Europe. « On n’est pas à l’abri… Cela s’est déjà vu aussi dans le pétrole. »

Les garanties posées par Bruxelles ne suffisent pas non plus à rassurer l’AGPB, qui invite les agriculteurs à répondre à son enquête en ligne lancée il y a quelques jours. L’objectif : « recueillir un maximum de données [sur le prix d’achat des engrais depuis le 1er février 2025] afin de mieux défendre les intérêts des agriculteurs auprès des instances françaises et européennes. » Eric Thirouin assure être en contact avec la ministre de l’Agriculture et lui avoir demandé un suivi régulier avec l’ensemble des acteurs de la filière des engrais.

(1) Union des industries de la fertilisation françaises. (2) Association générale des producteurs de blé. (3) Gaz naturel liquéfié. (4) Société de conseil spécialisé dans les marchés des grains et des engrais.

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